JEAN 4: ENTRETIEN AVEC LA SAMARITAINE

Les quatre étapes de la formation du texte actuel

Grâce au travail d'exégèse, il est possible de déterminer avec précision les différentes "couches" d'écriture d'un texte au cours du temps (vocabulaire, style,...). Cette étude, au-delà d'un simple aspect culturel, permet de comprendre le sens profond de ces textes. Faite par l'Ecole Biblique de Jérusalem, elle n'est pas spécifique à ce passage de Jean, mais à toute l'évangile de Jean qui est la plus évoluée des 4. Elle est tellement évoluée qu'on peut la comparer à un cathéchisme.


1° Le document primitif : " C "


5 Il arrive à une ville dite Sychar , près du terrain que Jacob avait donné à Joseph,son fils.

6 Il y avait là la source de Jacob. Jésus était assis ainsi près de la source.

7 Vient une femme pour puiser de l'eau. Jésus lui dit: "Donne moi à boire. "

9 La femme lui dit : " Comment toi me demandes-tu à boire à moi, une femme (?")



16 Il lui dit : "Va, appelle ton mari et reviens ici."

17 la femme répondit et dit : "Je n'ai pas de mari." Jésus lui dit : "Tu as bien dit: Je n'ai pas de mari,

18 car tu as eu cinq maris et celui que tu as maintenant n'est pas ton mari. en celà tu as dit vrai."

28 La femme, donc, laissa là sa cruche et courut à la ville et elle dit aux gens :

29 "Venez, voyez un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Est-ce que celui-ci ne serait pas (le Prophète? ")

30 ils sortirent de la ville et vinrent vers lui, (et) le priaient de demeurer chez eux.Et il y demeura.


Contrairement à ce que l'on pourrait penser en lisant le texte complet, l'enjeu du texte primitif est clairement la relation homme / femme et non juif / samaritain (cf. v 9).

Ce texte fait référence à plusieurs thèmes issus de l'Ancien Testament. Ces thèmes sont difficiles à comprendre pour nous car ils font appel à un passé culturel qui nous est devenu complètement étranger.


La source de Jacob :

On constate qu'il y a un parallèle avec le mariage d'Isaac et de Rébécca, Genèse 24 : on a exactement la même disposition, les mêmes termes employés ("près de la source", "une femme vient", etc.). Ce thème du puits, de la source se retrouve en Exode 2, 15. Il faut noter que ces histoires de puits sont une sorte d'indicatif qui renvoie à la naissance des liens du mariage.

=> Nature de la relation entre l'Homme et Dieu.


Les cinq maris :

Le mot est répété 5 fois (v. 16 à 18). Pour bien saisir l'allusion, il faut se reporter à l'histoire des samaritains qui nous est donnée au 2ème Livre des Rois 17, 24 : la Samarie a été en fait colonisée par 5 peuplades déportées qui sont venues chacune avec leurs dieux. C'est ce syncrétisme (mélange de la foi d'Israël et de ces cinq dieux) qui avait rendu les Samaritains odieux aux yeux des juifs. Ce qui est capital c'est qu'en hébreux, mari et faux dieu se dit de la même façon (baal).


On voit donc que l'intention de Jean n'est pas de traiter un simple problème social homme/femme, mais d'approcher la relation entre l'Homme et Dieu. Celle-ci n'est pas de nature uniquement rituelle mais procède d'un véritable don conjugal (ce qui justifie la présence du puits). Cet aspect est très clairement évoquer dans Osée 2,15 et suivants.

En fait, Jésus vient offrir le salut aux samaritains (dans une mise en scène très élaborée). Ils vont retrouver le culte du vrai Dieu : c'est l'alliance (mariage) qui leur est proposée.

=> Ce texte est le signe de l'alliance qui se renoue : l'amour de Dieu est toujours offert !

Remarque : C'est la force du symbolisme qui fait passer à une autre étape dans la connaissance de Dieu et non un procédé didactique, déductif qui, là, ne mènerait probablement à rien. Il est évidemment difficile pour nous de ressentir tout ce contexte, toute la force du texte, qui, dans le milieu judéo-chrétien de l'époque, était énorme.


2° Deux additions de Jean II-A : - "L'eau vive " - "La nourriture" qui est celle de Jésus.


1 l'Eau vive


8 Ses disciples, en effet, s'en étaient allés à la ville afin qu'ils achètent des vivres.(Donc)

10 Jésus répondit et lui dit :" Si tu connaissais () qui est celui qui te dit :" Donne moi à boire, c'est toi qui lui aurais demandé et il t'aurait donné de l'eau vive."

11 ( La femme lui dit : "Seigneur, tu n'as pas de seau et le puits est profond; d'où l'aurais-tu, l'eau vive ?

12 Es-tu plus grand que notre Père Jacob qui nous a donné le puits et lui-même en a bu, et ses fils et ses troupeaux ?")

13 Jésus répondit et lui dit :"( quiconque boit de cette eau aura encore soif;

14 mais) qui boira de l'eau que moi je donnerai (,) (il y aura) deviendra en lui une source d'eau jaillissant pour la vie éternelle."


2 La nourriture de Jésus.


27 La dessus les disciples arrivèrent (.) 30 ils venaient vers lui

31 Entre temps, les disciples le priaient en disant : "Rabbi, mange !"

32 Mais il leur dit :" J'ai une nourriture à manger que vous ne connaissez pas ."

33 Les disciples se disaient entre eux : "Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger ?"

34 Jésus leur dit : "Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et de parfaire son oeuvre. (")

40 Quand donc ils furent arrivés près de lui, les Samaritains le prièrent de demeurer chez eux. Il y demeura deux jours


Jean utilise ici un procédé littéraire didactique relevant d'une construction antithétique : "Quiconque boit de cette eau aura encore soif, mais qui boira de l'eau que moi je lui donnerai n'aura plus jamais soif..."

"J'ai une nourriture à manger que vous ne connaissez pas".

A chaque fois, l'interlocuteur se trompe sur le véritable sens de la parole de Jésus.

Il est encore une fois fait référence à toutes les eaux qui coulent dans la Bible : l'eau est ici le symbole de la Loi, de la Parole, de la Sagesse qui permettent de vivre en accord avec Dieu, d'accéder à la vraie vie.


Thème de la nourriture recouvre un peu la même symbolique que celle évoquée ci-dessus pour l'eau. L'œuvre dont il est question au verset 34 est la révélation de la nouvelle alliance (mise en lumière).

Par ces ajouts au texte, Jean fait connaître tout le bénéfice que l'on peut tirer de l'amour de Dieu.


3 Sept remaniements de Jean II B

1 Passer par la Samarie


1 Quand donc les pharisiens eurent entendu dire que Jésus faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean,

3 Il laissa la Judée et s'en alla de nouveau en Galilée.

4 Or il lui fallait passer par la Samarie.


Cette obligation est un impératif de sa mission car il existe d'autres chemins. (Jésus quitte la Judée par crainte des pharisiens).


2 La sixième heure

6 fatigué de la route parcourue... c'était environ la sixième heure.


"sixième heure" : le chiffre 6 est un signe d'imperfection, de manque (c'est à la sixième heure que Jésus est livré par Judas ; 6 heures après le coucher du soleil).


3 Juifs et samaritains.

9 (vient une femme) de samarie ; (la femme), samaritaine (lui dit :"comment toi,) qui es Juif, ( me demandes-tu a moi ) reconstitutionqui suis Samaritaine ?"


C'est maintenant un problème juif / samaritain qui est clairement posé. Or les Samaritains sont des gens qu'on ne fréquente pas, qui sont considérés légalement comme impurs. Jésus prend donc le risque d'être déclaré impur : il veut ainsi souligner l'inhumanité de certaines prescriptions et marquer l'universalité de la parole de Dieu.


4 Eau et Pain

15 La femme lui dit :"Donne moi de cette eau que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus ici puiser (qui boira ) 14 n'aura plus jamais soif.


5 Adoration de Dieu.

19 La femme lui dit: "Seigneur, je vois que tu es un prophète.

20 Nos pères ont adoré sur cette montagne, et vous, vous dites qu'à Jérusalem est le lieu où il faut adorer ."

21 Jésus lui dit : "Crois moi, femme, l'heure vient où vous n'adorerez le Père ni sur cette montagne ni à Jérusalem. (car) les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité."

25 La femme lui dit : "Je sais que le messie vient, qui est dit Christ; lorsqu'il viendra,lui, il nous annoncera tout." 26 Jésus lui dit : "C'est moi qui te parle."


Délocalisation de l'adoration : il existe, à cette époque, une querelle très vieille sur les lieux de culte : pour éviter l'idolâtrie, centralisation des lieux de culte à Jérusalem en particulier. Jésus va rendre ce problème caduc. Il n'y a pas de question de lieu : "adorer le père en esprit et en vérité", c'est-à-dire épouser le désir de Dieu, vivre sa parole. (cf. Apocalypse 21).


6 Semeur et moissonneur

35 Ne dites-vous pas: Encore quatre mois et la moisson vient ? Voici que je vous dis : Levez vos yeux et voyez que les campagnes sont blanches pour la moisson. Déjà le moissonneur reçoit un salaire et amasse du grain pour la vie éternelle, afin que le semeur se réjouisse en même temps que le moissonneur.(")


Semeur / moissonneur : au thème de l'envoi de Jésus par son Père (v. 34), Jean II B ajoute celui de la moisson. Ce thème de la moisson est particulièrement symbolique : la moisson, c'est l'entrée dans le Royaume, dès cette vie, en recevant la parole de Dieu par Jésus et les disciples. Ici, la moisson est la conversion de la samaritaine.

Jean Baptiste sème et Jésus récolte. Il faut remarquer que le semeur a son salaire (la joie : cf. Jn 3,26-30) en même temps que le moissonneur. Le Baptiste s'efface devant Jésus, le semeur devant le moissonneur, mais ils participent à une même œuvre et leur joie se mêle. L'auteur veut ainsi atténuer l'opposition entre partisans de Jésus et partisans de Jean-Baptiste, en références à des polémiques de son temps.

Le proverbe "autre est le semeur et autre est le moissonneur" est appliqué par Jésus aux disciples : il les a envoyés moissonner là où ils n'avaient pas semé puisque ce sont Jean-Baptiste est ses disciples, les "autres qui ont peiné", qui l'ont fait. Jean II B justifie a posteriori l'activité des disciples en Samarie.


7 Parole et Foi

39 De cette ville-là, beaucoup parmi les Samaritains crurent en lui. A cause de la parole de la femme rendant témoignage: Il m'a dit tout ce que j'ai fait.

41 Et beaucoup plus crurent à cause de sa parole ;

42 Et à la femme ils disaient : "Ce n'est plus à cause de tes dires que nous croyons ; nous-mêmes, en effet, nous avons entendu et nous savons que celui-ci est vraiment le Sauveur du monde ."


Foi en la parole de Jésus : c'est le problème de la crédibilité de la parole. Les miracles ne sont pas décisifs : c'est l'adhésion à la parole qui est primordiale. Jean II B tente de convaincre que la transmission de la parole est efficace. L'important n'est pas d'avoir vu des grands événements mais de l'entendre dire et de le croire. Il suffit de laisser la Parole faire son chemin en nous : accueille de la Parole.

On retrouve ce thème en Jn 4,48 et Jn 20,24-29 (textes de Jean II B).


4 Trois remaniements de Jean III :

1° L'harmonisation du v.2

2 "bien qu'à vrai dire Jésus lui-même ne baptisait pas, mais ses disciples.


2° l'adoration :

22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas; Nous adorons ce que nous connaissons, parceque le salut vient des Juifs.

23 Mais l'heure vient, et maintenant elle est là où (les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité) car tels le Père aussi recherche ceux qui l'adorent.

24 Dieu est esprit, et ceux qui adorent doivent adorer en esprit et en vérité."


3° Le moissonneur n'est pas le semeur

37 En celà est véridique la parole : Autre est le semeur et autre est le moissonneur.

38 Je vous ai envoyé moissonner là où vous n'avez pas peiné; D'autres ont peiné et vous ètes entrés dans la peine."


Jean III ne fait qu'apporter des précisions par rapport à Jean II B. Au verset 2, par exemple, il ne fait qu'harmoniser le texte pour se rapprocher de la vérité.


Reconstitution du texte final :

Vous retrouvez ici toutes les couches. Plus elles sont sur fond foncé, plus elles sont anciennes. Ainsi, pour lire une version il faut lire son degrès de grisé ainsi que tous ceux qui sont plus foncés. Pour lire la version II B, il faudra lire la II A et la C.

Pour vous aider, vous avez la possibilité de choisir ci-dessous la version que vous voulez lire en cochant le niveau choisi. Ceci fera disparaître les niveaux plus récents.