L'ISLAM



Ce texte résume les notes prises lors d'un exposé fait à l'aumônerie ECL- ESCL en 1993 et lors d'une présentation de Michel Guillau en octobre 99.



arabie

Situation au 7ème siècle ap. JC.

I) HISTORIQUE


En 600, il n'y a pas de peuple arabe. C'est une société tribale constituée de familles et de clans nomades ou sédentaires. On trouve au sein de ces groupes trois types de religions : des bédouins (personnification des arbres, des pierres ; réunion à La Mecque : La Kaba) ; des chrétiens et des hanifs (monothéistes dans la lignée d'Abraham).

La Mecque devient un centre de commerce où se développe une mentalité individualiste.


1.1. Mahomet (570 - 632)


La première révélation a lieu en 610. La révélation est la descente de l'esprit de Dieu sur un homme : l'origine est donc exclusivement divine. A partir de cette date, se succèdent des périodes qui découpent la vie de Mahomet.

(i) 610 - 615 : 1ère période Mekkoise. Cette période est caractérisée par une lutte contre l'injustice sociale qui débouche sur la notion de jugement dernier. Mahomet proclame un unique Dieu : Seigneur créateur.

(ii) 616 - 619 : 2ème période Mekkoise. Il y a apparition d'une opposition : le groupe est mis au ban de la société. On distingue alors les compagnons (ceux qui restent avec Mahomet) des sauvages. C'est à cette époque que sont écrits les récits de la vie des prophètes : Abraham, Moïse et Jésus (considéré comme celui qui donne le signe de la fin des temps). Dieu est "Al Rahman", c'est-à-dire pardon, miséricorde. Il est aussi le transcendant et le subsistant.

(iii) 619 - 622 : 3ème période Mekkoise. Beaucoup de membres quittent la communauté. Mahomet s'en va en exode le 16 juillet 622 (l'Hégire). La relation à Allah se précise : il y a une relation naturelle entre Dieu et l'homme, celui-ci est né pour être musulman.

(iv) 622 - 632 : période Médinoise. Mahomet entre à La Mecque. Il a aussi sa dernière révélation qui inspire la définition de la loi islamique. La communauté de Médine est un modèle à atteindre pour l'Islam. Il faut noter qu'au début de cette période, on prie en direction de Jérusalem car il existe une importante communauté juive à Médine.


1.2. L'après Mahomet


a) Les quatre Califes (lieutenant militaire et Imam).

632 - 634 : Abu Bakr : il appartient à la famille de Mahomet.

634 - 644 : Umar : il est désigné ; période d'expansion.

644 - 656 : Utkman : première compilation du Coran.

656 - 661 : Ali en conflit avec Damas : on organise un arbitrage. Ali est assassiné. C'est l'origine d'une première divergence dans l'Islam qui donne naissance à trois courants :


b) Les deux dynasties.

(i) Omeyyades (661 - 756) : Le peuple est dirigé par un Calife sunnite qui réside à Damas. La succession des califes est héréditaire : séparation entre les Sunnites et les Shi'ite qui ne reconnaissent pas les Omeyyades. Le Coran est alors considéré comme un texte source de foi et une loi pour la communauté.

(ii) Abassides (750 - 1258) : C'est l'âge d'or de l'empire musulman dont la capitale est Bagdad. Il reste des survivants des Omeyyades à Cordoue et les shi'ites sont au Caire.


c) Les Ottomans (jusqu'en 1517).

Le califat Ottoman est de tradition chi'ite. Son apogée a lieu sous le règne de Soliman le magnifique.


d) L'époque moderne.

Il y a un véritable choc avec la culture occidentale qui donne naissance à deux tendances : ceux qui acceptent et ceux qui rejettent. Ces derniers attribuent la décadence du tiers monde à la volonté d'imiter l'Occident. Ils s'appuient sur le mythe de Médine, symbole de la communauté parfaite.



II) LA DOCTRINE


L'Islam est considéré comme la religion de l'homme par excellence : tout homme naît musulman (il n'y a donc pas de rite d'entrée dans la communauté ; la circoncision n'a pas de valeur théologique). Islam et muslim (=> musulman) ont la même racine, les trois lettres s l m (dont vient aussi le mot salam). Muslim veut dire soumis : l'homme n'est soumis qu'à Dieu (on peut y voir un certain caractère de liberté dans la condition de l'homme).


2.1. Le Coran


(i) < al qur'an = lecture qui est faite pendant le culte (< qara'u = proclamer, réciter).

Le Coran est donc un rappel : il ne contient rien de nouveau, il est la répétition de ce qu'ont dit les prophètes (cf. Sourate III, 3). En effet, Dieu a envoyé les prophètes (Abraham, Moïse, Jésus, ...) pour porter le même message, le même texte ; mais, Mohamed est le dernier de ces prophètes : avec lui, le texte, cette fois-ci, n'a pas été dévoyé. Il est considéré comme inspiré par Dieu, écrit par Dieu (on insiste souvent sur l'illettrisme de Mohamed) et a un caractère normatif pour la foi. Il aura parfois du mal à s'imposer face à la subsistance de textes locaux.


(ii) A l'origine, le Coran est transmis par voie orale : on apprend le texte par cœur et on le récite comme prière. Le premier Calife (Abu Bakr) commence à réunir des bouts de textes. Le texte définitif date en fait de 650 : le troisième Calife réunit les meilleurs connaisseurs du Coran pour qu'ils l'écrivent ; 4 exemplaires sont créés (version sans les signes diacritiques (points que l'on met au-dessus ou en dessous d'une "lettre" pour donner une autre consonne), c'est-à-dire comme une version sténo), tout le reste est détruit.

Le Coran est écrit en arabe et supposé être, par essence même, compréhensible par tout le monde. Il est considéré comme inimitable, étant directement inspiré par Dieu. Il dépasse donc les capacités humaines et constitue une référence, même pour la grammaire arabe (il ne peut pas être traduit dans une autre langue de peur d'être déformé) ! Il n'a ainsi pas été modifié depuis sa première écriture.

"L'exégèse" est contrôlée par une élite. On peut souligner deux types de lecture du Coran : les théologiens ne gardent que le texte pur, sans prendre en compte tout l'imaginaire contenu dans ce texte ; certains réduisent toutes les idées à des pratiques sociales. Il faut donc tenir compte des trois aspects du texte que sont les rites, les lois et l'imaginaire. Il possède aussi un caractère miraculeux (porte-bonheur magique) qui n'est pas interdit par le texte.


(iii) Le Coran est subdivisé en 114 Sourates qui sont classées dans un ordre de longueur décroissante, sauf la première. On distingue deux types de Sourates :


(iv) Le cas de Jésus : Il est assez singulier dans le Coran (des choses sont dites sur lui qui ne le sont par sur d'autres prophètes, cf. Sourate 19). Pour l'Islam, Jésus est né de la Vierge, parle dès le début de sa vie et n'est pas mort sur la croix. Il a été enlevé par Dieu avant sa mise à mort (sinon cela ne serait pas compatible avec la toute puissance de Dieu) et son retour sera le signe de l'heure (i.e. de la fin des temps).


(v) Le statut de la Bible par opposition à celui du Coran : Pour les chrétiens, c'est aussi la parole de Dieu. Mais c'est un texte écrit par des hommes. Ainsi, quand on lit la Bible dans une attitude de croyant, c'est Dieu qui nous parle aujourd'hui (ce qui sous-entend la nécessité d'un travail). Dans cette attitude là, Dieu est parmi nous : c'est Jésus qui est la parole de Dieu ("le verbe s'est fait chair"). A titre d'exemple, les tables de la Loi sont écrites par Moïse et non par Dieu (au début, c'est Dieu qui les écrit, mais Moïse les casse de rage en voyant le Veau d'Or : c'est lui qui les réécrit finalement).


(vi) Interprétation du Coran : Entre la vision fondamentaliste de ce texte et l'analyse exégétique, il existe une certaine interprétation possible. Par exemple, les sourates Médinoises peuvent être considérées comme la traduction, pour la péninsule arabique du VIIème siècle, des sourates Mequoises : pourquoi ne pas avoir la même démarche de nos jours ?


Remarques :



2.2. La Sunna


C'est la tradition prophétique. Elle constitue une norme de conduite exemplaire fondée sur la tradition orale, les hadiths : ils contiennent ce qu'aurait dit Mohamed, rapporté par ses compagnons. Ils ont été rassemblés au 9ème siècle et constituent 6 grands recueils.

On distingue deux types de hadiths (ou plutôt il y a deux composantes dans un hadith) : matn, qui raconte l'histoire de Mahomet, ce qu'il a vécu ; ismad qui constitue la chaîne des gens qui ont transmis cette tradition. Ce ismad est très important pour les sunnites qui le vérifient avec beaucoup de précision car il légitimise la tradition. Ces traditions sont devenues presque aussi important que le Coran. Ils servent de textes de méditation.

Le hadith "Gabriel" liste les six dogmes de la foi : croire en Dieu, en ses anges, en ses livres, en ses envoyés, au dernier jour et au décret divin (on pourrait le résumer ce dernier par : Dieu est Dieu et fait ce qu'il veut ou encore tout ce qui advient est voulu par Dieu). Il donne aussi les cinq piliers de la pratique : la foi en un Dieu unique et en la mission prophétique de Muhamad, la prière (5 prières quotidiennes), le jeûne (du mois de Ramadan), l'aumône (zakât), le pèlerinage à La Mecque.


2.3. La Shari'a


C'est la Loi. Elle est issue du Coran et est considérée comme révélée par Dieu. Entre la mort de Mahomet et 850, des juristes (fuqaha) élaborent le droit musulman (fiqh). Ce droit s'appuie sur quatre bases : le Coran, la Sunna, une méthode d'élaboration et l'authenticité de toutes les sources. Il s'agit d'un droit religieux et social qui comporte des obligations morales (comparable au Décalogue), des obligations rituelles (rites de pureté,...) et une régulation de la vie sociale (droit pénal, contrats, ...). La Shari'a est donc un guide sur le chemin vers Dieu, qui doit être respecté pour agir selon la volonté de Dieu. Il contient beaucoup de raisonnements par analogie, décrit des comportements précis.



III) Abraham dans le Coran : exemple d'utilisation d'un mythe


On considère que l'un des deux fils d'Abraham, Ismael, est le fondateur du peuple arabe.

Dans le Coran, Abraham est le bâtisseur de la Kaba, c'est-à-dire qu'il vit environ 600 ans après JC, alors que, dans la Bible, son histoire se situe vers le XVIIIème siècle avant JC. Ainsi, au verset 97 de la sourate 3, il est écrit : "... dans ce lieu où se tenait Abraham". Le personnage d'Abraham est donc anachronique : il est claire qu'il y a une élaboration, une construction derrière cette histoire.


Il est intéressant d'analyser la méthode d'utilisation de figures telles qu'Abraham, de comprendre le mécanisme qui est en jeu :

=> A partir d'un mythe originel, on effectue un travail (<poésie en grec) pour élaborer une éthique, une morale.

C'est une démarche qui n'est bien sur pas spécifique au Coran. Ce même procédé est utilisé dans la Bible. Par exemple, le thème de la circoncision devient dans la Bible au thème général de la "circoncision des cœurs".


Cette utilisation du mythe s'inscrit dans une volonté d'arracher l'Homme à son déterminisme naturel, irrationnel : l'humain prend possession du naturel. Ainsi, par exemple, Abraham doit sacrifier son premier né (pratique de l'époque car on a dans l'idée de supprimer les premiers bourgeons pour que l'arbre aie de beaux fruits) et Dieu lui dit : non, sacrifie un agneau et dépassons ce stade pour parler de l'Alliance de l'Homme avec Dieu. Il y a donc rationalisation de la pratique dans le sens où l'on sort d'un déterminisme naturel. Cet arrachement culmine avec les Lumières et Hegel.


De même, il est important de noter qu'à cette époque on ne peut dissocier social, politique, foi, religion, théologie,... Cela va même au-delà puisque ce qui est fait à l'homme est indissociable de ce qui est fait à Dieu. Il s'agit chaque fois d'une même réalité. La distinction entre le politique et le religieux est chez nous bien postérieure à l'époque du Coran (résultats des Lumières). Avec le modernisme, la raison est suffisante pour régler les problèmes du monde : la théologie elle-même est un produit de la raison, même si bien sur on ne peut disjoindre théologie, philosophie...


C'est pourquoi il y a clairement un projet politique qui soutient l'avènement de l'Islam. En effet, un des objectifs du Coran est, entre autres bien sûr, d'aboutir à une position politique fédératrice des tribus : faire des tribus disparates un corps organisé. Cette problématique se retrouve dans la Bible : Gn 17, 6 et suivants. La loi mosaïque, l'annonce de l'alliance qui se prsentent comme venant de Dieu vont jouer le rôle de ciment social, de cohésion politique du groupe. En ce sens, on peut tout aussi bien dire que le "religieux" (domaine de la relation entre les hommes et avec Dieu) fonde le "politique" ou l'inverse !



Une perspective de cette analyse peut être la suivante : si ces récits sont déjà des productions à partir de récits primitifs (c'est-à-dire le fruit d'un travail pour répondre à des questionnements), quel travail devons nous faire pour résoudre nos propres problèmes à notre époque ? Y a-t-il place au récit de nos jours, place à ce travail ? Comment franchir les multiples barrières qui existent de nos jours pour répondre à nos questions (information immédiate, image, ... cf. Bougnoux) ?