Aumônerie ECL - ESCL 1994
La Bible : un texte inspire
i) La nature du texte
C'est un recueil de 75 livres (dont 15 écrits de Paul), les plus anciens datant d'environ 1700 av. JC. Il n'y a aucune unité dans cette œuvre : auteurs, langues, genres littéraires sont multiples (le livre d'Isaïe, par exemple, a été écrit entre 740 et 500 av. JC. et ne comprend pas moins de 3 genres littéraires différents). Les textes sont écrits en hébreux, sauf les plus récents qui sont en grec.
Remarque : La première traduction de la Bible en grec date du IIème-Vème siècle ap. JC. à Alexandrie, "les Septantes", élaborées par 70 sages selon la tradition (le nombre valorisant la traduction). Les réalités bibliques sont alors repensées au travers de la philosophie grecque : par exemple, "Je suis ce que je suis" devient "Je suis celui qui est", être au sens de Platon ; ou bien encore, ange qui signifie aide en hébreux prend le sens d'angelos, un être un peu mystérieux.
La Bible est ainsi un recueil disparate de textes législatifs, prophétiques, de contes populaires, de prières, de réflexions sur la foi du monde... De façon plus générale, on peut dire que ce texte est essentiellement le témoignage de croyants : il raconte comment les gens ont cru. C'est donc un livre de méditation par opposition à un livre historique ou scientifique (cf. la Genèse). La Bible est aussi considérée comme une loi (la Torah), mais cela va plus loin : à travers cette loi, nous devons être signes de quelque chose, une communauté en devenir (peuple de Dieu = Eglise, "lumière des nations" ; l'Israël de la Bible est un Israël spirituel, symbolique).
La Bible est donc une source d'inspiration qui nécessite une approche à la fois du domaine de la critique littéraire en raison de sa nature même et du domaine de la foi car ce sont des textes inspirés (par l'Esprit-Saint) c'est-à-dire qui ont un rapport avec l'Esprit, la foi (les deux approches ne pouvant être dissociées).
Ainsi ce texte est une source d'inspiration de la foi, mais il peut, et même, il doit en exister d'autres (tout le monde n'ayant accès à la Bible que depuis peu de temps). Pour l'Eglise Catholique, ces sources sont au nombre de trois : l'écriture, le magistère et la tradition (< tradere = transmettre).
Enfin, il faut ajouter une dernière remarque : on entend souvent dire que l'on pourrait élaguer la Bible de quelques textes "obsolètes" sans grand mal. Mais alors ce problème qui se pose maintenant se retrouvera dans 10, 20 ou 100 ans. N'est-il pas plus profitable de s'attacher à repenser à chaque époque les enseignements de ces écrits à l'aide d'un travail exégétique sérieux, en fonction des caractéristiques spirituelles, voire morales, spécifiques à cette époque ?
ii) lecture d'un texte/Parole
"La parole de Dieu a un lieu de naissance : les communautés qui assignent au langage textuel ou aux événements historiques un sens symbolique et pratique dont elles estiment qu'aucun locuteur ne peut être responsable dernier."
Ainsi, la Bible n'est pas seulement un Texte (produit séparé de ses producteurs), elle est aussi Parole, et il n'y a pas de parole sans un sujet pour la prononcer à l'instant présent. Nous sommes donc en présence de trois types d'attitude possibles devant le Livre : lecteur, destinataire, prophète.
Spinoza : "Traité Théologico-politique"
Chapitre II
Si maintenant on croyait pouvoir supposer que l'Écriture l'a entendu différemment, mais, pour quelque raison inconnue de nous, n'a pas voulu l'écrire comme elle l'entendait, alors il ne s'ensuit rien de moins qu'un renversement total de l'Écriture ; car chacun pourra à aussi bon droit en dire autant de tous les passages de l'Écriture et tout ce que la nature humaine peut inventer d'absurde et de mauvais, il sera permis dès lors de le soutenir et mettre en pratique sous le couvert de l'écriture.
2.1. Lecteur d'un texte :
Nous sommes très éloignés des conditions historiques, culturelles et sociales dans lesquelles sont nés et se sont développés les écrits multiformes, dont la transmission fût, parfois pendant plusieurs siècles, simplement orales et qui constituent la Bible actuelle. On peut dire qu'il existe des sortes de codes pour lire la Bible qui ne sont pas les mêmes que ceux utilisés pour un texte contemporain : c'est en cela que réside le problème majeur de la lecture de la Bible.
Ex: "Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer au royaume de Dieu" => trou d'aiguille est en fait le nom d'une porte de la ville de Jérusalem trop basse pour que les chameaux puissent passer avec leurs chargements: on devait les décharger!
Il s'agit donc d'établir le texte et ses significations en les replaçant dans son contexte, à l'aide de disciplines telles que l'histoire des religions, l'exégèse biblique, la linguistique... Ces études sont fondamentales pour comprendre ce que le texte dit, et surtout, ce qu'il permet de dire. Cette étude culturelle, historique, "archéologique" doit s'appliquer à tous les textes, y compris les plus récents. Ce type de recherche permet aussi de "décortiquer" les textes: on constate ainsi qu'un texte qui nous apparaît en un seul morceau est, en fait, constitué d'une partie primitive à laquelle s'ajoutent différents commentaires faits par ceux qui recopient les textes.
Faire appel -et confiance- aux spécialistes ne dispense pas d'une sensibilisation au maniement de ces outils, qui nous permettent une attitude scientifique devant un texte ancien, culturellement éloigné, mais n'implique pas forcément une attitude de "croyant".
2.2. Destinataire d'une Parole
Mais pour que cette étude ne reste pas un simple divertissement intellectuel, il faut ensuite faire une étude spirituelle des textes : qu'est-ce que ces écrits nous disent au moment et à l'endroit où nous sommes ? Le texte et ses significations une fois établis deviennent alors message qui nous est adressé, nous concerne.
Ex: Pour reprendre l'exemple du paragraphe précédent, on peut en l'occurrence se demander de quoi faudrait-il nous décharger pour que nous puissions entrer dans ce royaume.
C'est à ce stade de la lecture/écoute que doit se manifester l'importance capitale du groupe : la lecture des textes doit se faire dans la communauté, ouverte à l'observation du monde. Le texte devient parole et appelle une réponse. Rappelons que la célébration de l'Eucharistie se structure autour d'une double symétrie :
- aujourd'hui / hier,
- texte qui devient parole / Communauté qui devient corps.
Ainsi, la Présence du Christ en son corps se traduit par l'actualité de sa Parole portée par des femmes et des hommes vivants : telle est la réponse au "Faites ceci en mémoire de moi".
2.3. Chargé de mission, porteur d'une parole
La parole reçue ne peut être emprisonnée, considérée comme un avoir, un savoir ou un capital acquis (statut possible pour un texte). Il faut accueillir ou refuser une parole, y répondre : elle implique un dialogue. On ne la mémorise pas seulement, on l'intègre et on en vit.
Il peut aussi arriver que l'on se sente dans l'incapacité de garder pour soi un tel message. Comme pour Jérémie (23,29), il s'agit d'une Parole divine qui "brûle", génératrice à l'infini d'autres Paroles révélées. Il s'agit de la Parole prophétique, qui a cette caractéristique de n'être compréhensible que dans sa relation à la vie même de celui qui la porte, une Parole qui ne se comprend vraiment que dans l'acte même de sa transmission, une Parole impossible à posséder pour soi car on est possédé par elle et on ne peut la taire: tel est le prophète qui s'accomplit lui-même en proférant la parole.